Les glaciers alpins en survie
En marge des COP, nous faisons sur la situation des glaciers de nos si belles Alpes et même au-delà. Un dossier complet avec en conclusion l’interview d’Etienne Berthier, glaciologue au CNRS de Toulouse.
De bons indicateurs de l’évolution du climat : Nos glaciers sont de véritables bons indicateurs du climat ; déjà par le fait qu’il est facile d’observer à vue d’œil leur recul dans les Alpes. Ils permettent aux glaciologues d’observer et de comprendre l’évolution climatique du passé mais aussi du futur. Or, depuis plusieurs années, le recul s’est accéléré et pas uniquement dans les Alpes puisque de par le monde ils sont tous concernés mais de façon plus ou moins intense. Dans les Alpes aussi bien françaises que suisses ou autrichiennes, on constate un recul de façon homogène. Sur les 30 dernières années soit depuis environ 1980, on constate un recul prononcé car même si les hivers restent à peu près les mêmes avec autant de de quantités de neige qui rentrent dans le système, par contre la perte de glace qui se produit à la faveur de l’été pendant les beaux jours a singulièrement augmenté car les étés sont de plus en plus chauds. Il y a des pertes très conséquentes et de bas de glaciers comme au niveau de la mer de Glace. Et l’on peut avoir des fusions pouvant aller jusqu’à 10 voire 12 m de glace par an. C’est considérable. Si le réchauffement des températures joue un rôle important sur la fonte des glaciers, il n’est pas le seul paramètre en cause. La température en hausse est finalement qu’une conséquence de tout ce qui se passe. Il y a le rayonnement solaire qui joue, la nébulosité, la vitesse du vent, l’humidité dans l’air. Les glaciologues ont besoin de savoir comment vont évoluer tous ces aspects comme les nuages, ce qui est dur à prévoir, les précipitations également car un glacier ne fait pas que fondre. La neige s’y accumule. Et pour l‘heure, les spécialistes ont peu de connaissances sur les précipitations à venir. Ce dernier sujet est très difficile à modéliser dans ce siècle. On sait qu’en plaine en Rhône Alpes, sur l’année cela ne devrait pas trop évoluer mais les périodes de sécheresse seront en progression. Il y a aussi un autre évènement qui rentre en ligne de compte et qui est un facteur intervenant dans le recul des glaciers. Il s’agit de la pollution, notamment l’organique qui peut avoir un impact dans le sens où certaines particules qui sont des absorbants ; ce que l’on appelle le carbone suie dans le jargon des glaciologues. C’est pratiquement du carbone pur où les principales émissions proviennent des véhicules diesel surtout mal réglés ces dernières années. Les concentrations ont fortement augmenté dans les couches du neige du Mont Blanc qui deviennent trop absorbantes et donc moins réfléchissantes . Cela réchauffe encore plus et l’on accélère ainsi la fonte du glacier. Si les plus hauts glaciers devraient résister, il n’en sera pas de même de ceux inférieurs à 3500 m dans les Alpes qui seront qu’un lointain souvenir.. Et dans le massif des Pyrénées, ils auront tous purement disparu à l’horizon de 2045-2050.La mer de Glace de son côté qui aurait près de 4 milliards de m3 de volume aura encore largement reculé de plusieurs kilomètres ( déjà 2 de perdus depuis 1850!). Le laboratoire de glaciologie de Grenoble est l’un des références dans le monde sur l’étude de nos glaciers. Et leurs travaux ne portent plus désormais que sur les glaciers. Leurs recherches depuis 1958 s’orientent également sur le climat, l’atmosphère, la glace, l’océan et l’environnement.
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Le précieux travail du LGGE de Grenoble
Pour analyser l’évolution de nos glaciers, le travail du Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement basé à Grenoble est plus que précieux.
En plus de 50 ans, le LGGE a bâti sa renommée scientifique sur l’étude du climat et de la composition de l’atmosphère. Ces études portent sur le présent mais aussi sur les évolutions passées au travers des archives que constituent la neige et la glace accumulées au cours du temps. Cependant le LGGE possède d’autres savoir-faire très compétitifs centrés sur la neige et la glace, comme l’étude physique et mécanique du matériau glace, les échanges chimiques air-neige ou encore l’acquisition de données sur le terrain et par satellite. Les recherches menées allient des développements technologiques et analytiques à une approche de modélisation numérique touchant à des domaines variés, de l’atmosphère aux écoulements des masses de glace, et, plus récemment, à l’océan. Les régions polaires Antarctique et Arctique sont des terrains d’action privilégiés mais l’expérience du LGGE s’étend aussi aux zones de montagne (étude des glaciers alpins, andins et himalayens, pollution des vallées alpines) et aux océans (rôle de l’océan dans les équilibres climatiques, prévision à moyen terme des circulations océaniques). Ces études contribuent à la compréhension d’importants problèmes scientifiques qui sont souvent des enjeux de société tels que l’effet de serre, la variabilité du climat et de l’environnement, le bilan de masse de la cryosphère et le niveau des mers, la pollution à l’échelle globale et régionale, ou encore les risques glaciaires.
Le LGGE comprend 150 personnes. Ils ont à la fois des chercheurs, enseignants-chercheurs, doctorants, ingénieurs, techniciens qui travaillent ensemble, en montagne, aux pôles, pour la recherche, l’enseignement et la diffusion du savoir dans des domaines d’intérêt majeur pour notre société. Les recherches du LGGE sont structurées autour de quatre grandes priorités impliquant des chercheurs de diverses équipes du LGGE :
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Evolution passée et présente de la composition de l’atmosphère et l’étude des rétroactions chimie/climat ;
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Les zones polaires et leur impact passé, présent et futur sur la régulation du système climatique ;
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La vulnérabilité des glaciers et du couvert nival dans les zones de montagne face au changement climatique et leurs impacts sur les ressources en eau.
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Processus océaniques et leurs effets sur le système climatique, notamment via les couplages océan-atmosphère-glace
Chaque année, de nombreux chercheurs et ingénieurs du LGGE partent en mission dans les coins froids et englacés de notre planète : Arctique, Antarctique, Alpes, Himalaya, Andes.
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Le climat alpin des prochaines décennies.
Pour les Alpes françaises, un relatif consensus existe sur l’ampleur du réchauffement futur : +1,5°C au milieu du XXIe siècle et de +2 à +4°C à la fin du siècle par rapport à la période de référence 1960-1990, avec des variations spatiales et/ou saisonnières.
En matière de précipitations en revanche, on note une quasi-absence de tendance prévisible dans les cumuls de précipitations à différentes échelles de temps, sinon un léger déficit de précipitations d’automne voire l’été. Si une augmentation en intensité et/ou en fréquence des précipitations extrêmes est projetée à l’échelle globale, son ampleur demeure incertaine à l’échelle des Alpes françaises. Selon les résultats des derniers projets, la diminution de l’enneigement moyen actuellement observée va se poursuivre au XXIe siècle dans l’ensemble des Alpes françaises. Si les secteurs situés au-dessus de 1800-2100 m devraient rester relativement préservées vers 2050 avec de faibles diminutions variant selon le scénario économique et l’exposition considérés, cette altitude critique devrait ensuite s’élever à 2400 m pour le scénario le plus optimiste, et davantage encore pour les autres scenarii. Ces variations quantitatives s’accompagneront de modifications qualitatives, avec par exemple l’apparition progressive d’un manteau neigeux humide au cœur de l’hiver à haute altitude.
Simulations précises selon l’ACQWA: Simulations climatiques régionales sur l’arc alpin. |Les principales conclusions sont : 1) Un réchauffement d’ensemble pouvant aller jusqu’à +2°C en 2050, plus important au-dessus de 1500 m d’altitude en automne. 2) Une augmentation des précipitations en hiver mais plutôt une diminution au printemps et en été, mais vraisemblablement une forte variabilité spatiale, avec des augmentations au nord des Alpes au printemps, en été et en automne, et des diminutions dans les parties sud et ouest. 3) Une diminution de l’épaisseur de neige en hiver et au printemps. 4) Une augmentation de la fréquence des événements de précipitations extrêmes et des périodes humides plus séparées au sein des événements, avec des durées plus courtes mais une plus forte intensité. | Vue d’ensemble des changements liés au cycle de l’eau et aux risques naturels dans l’arc alpin projetés pour le XXIe siècle
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Déjà de multiples impacts
Au-delà du recul des glaciers, c’est tout une liste de conséquences que cela va engendrer. Et qui déjà se font sentir. Même si l’absence de situation passée analogue au climat projeté rend d’autant plus difficile à prévoir les effets induits sur l’activité des aléas naturels. Si l’on s’en tient aux seules conséquences dans les Alpes, voilà quelques-unes de prochaines tendances ::
-accélération du retrait glaciaire dans les Alpes au cours des prochaines décennies. Suivant le réchauffement (+2 à +5 °C en 2100) et l’échelle spatiale considérés, la réduction du volume et/ou de la superficie irait de 20-35 % par rapport à 2000 jusqu’à une disparition quasi-totale des glaciers.
-l ’évolution prévue du manteau neigeux augmentera la proportion d’avalanches de neige humide par rapport aux avalanches de neige sèche, ce qui semble commencer à être détecté dans des séries d’observation.
– Les conditions climatiques favorables au déclenchement de glissements de terrain et de laves torrentielles devraient devenir plus fréquentes dans les Alpes pour la plupart des saisons excepté en juillet et août, même si la fréquence des pluies très intenses (> 30 mm/jour) pourrait augmenter dans certaines régions.
-L’évolution des dommages au patrimoine bâti causés par les risques naturels en montagne.
-Une augmentation de la dangerosité de certains itinéraires en haute altitude, liée au retrait rapide des glaciers et à la dégradation du permafrost, qui engendrent une modification progressive des pratiques des alpinistes pour s’adapter aux nouvelles conditions, notamment saisonnières.
-Des interrogations apparaissent aujourd’hui quant aux phénomènes avérés de déstabilisation d’infrastructures touristiques.
– Risques accrus de phénomènes d’éclatement de poches d’eau comme en 1892 sur le glacier de Tête Rousse.
– Changement des paysages qui ne seront plus recouverts par la glace. On note une altération profonde de la végétation alpine.
-Des pans de montagne s’écroulent du fait du réchauffement climatique. Les chercheurs traquent les mécanismes à l’œuvre. Selon le CNRS, on souligne une forte corrélation entre l’occurrence de ces événements depuis cent cinquante ans et les périodes les plus chaudes observées à Chamonix.
– Impacts sur les animaux : d’après les conclusions d’une récente étude de l’université de Durham, le poids moyen des animaux a diminué de 25% depuis les années 1980. Par contre, les températures printanières en Europe favorisent la vitalité du bouquetin des Alpes. Les changements climatiques semblent donc profiter à cet animal: des températures plus douces au printemps, une fonte des neiges plus précoce et donc une meilleure offre alimentaire favorisent la croissance des cornes, un indicateur de vitalité.
-Les oiseaux et les papillons européens s’adaptent au réchauffement climatique en remontant vers le nord, mais pas suffisamment vite pour compenser l’augmentation des températures moyennes actuelles. De nombreuses espèces adaptées au froid sont littéralement en train de déserter les montagnes. Dans certains sommets de basse montagne européens, on pourrait voir disparaître dans les prochaines décennies les prairies alpines au profit d’arbustes nains.
-La flore touchée : un modèle prédit qu’en moyenne la réduction d’habitat pour ces espèces serait de l’ordre de 44 à 50 % pour la fin du 21e siècle. Ces estimations sont similaires aux simulations de modèles traditionnels. Toutefois, les simulations suggèrent aussi que la dynamique des populations serait décalée par rapport aux tendances climatiques, et qu’en moyenne 40 % des aires de répartition toujours occupées à la fin du 21e siècle seraient situées en dehors des conditions favorables pour les espèces. Ce qui créerait un délai d’extinction. De manière alarmante, les espèces endémiques des Alpes devraient connaître les plus fortes pertes d’habitats.
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La mer de Glace recule de plus en plus
La Mer de Glace, le plus grand glacier français avec une surface de 32 km2, sur le Mont-Blanc, a perdu plus de trois mètres d’épaisseur lors de l’année écoulée entre octobre 2014 et octobre 2015, soit trois fois plus que lors d’une année ordinaire, selon les mesures du laboratoire de glaciologie de Grenoble. Le recul est cette année très précisément de 3,61 m en moyenne sur l’ensemble de sa surface. Depuis trente ans, ce glacier perd en moyenne 1 mètre d’épaisseur par an sous l’effet du réchauffement climatique. Il n’y a qu’en 1995 et en 2001 qu’il a gagné quelques centimètres. La fonte de l’année écoulée est similaire aux pertes d’épaisseur enregistrées lors des années 2003 et 2009 : la Mer de Glace avait alors déjà perdu plus de trois mètres d’épaisseur. Lors des trente dernières années, c’est surtout la fonte estivale qui explique le recul du glacier. Les chaleurs caniculaires de l’été dernier ont ainsi fortement contribué au rétrécissement du glacier. Mais son recul s’explique aussi par la faiblesse des précipitations entre octobre et mai qui n’ont pas permis d’augmenter son enneigement hivernal.
Les glaciologues calculent une variation d’épaisseur moyenne sur l’ensemble du glacier mais celui-ci perd beaucoup plus de glace sur sa langue terminale qu’à sa source (à environ 4000 m), où la fonte est quasiment inexistante. Ces mêmes glaciologues ont également mesuré une perte d’épaisseur de 3,31 mètre de glace lors de l’année écoulée sur le glacier de Saint-Sorlin dans le massif des Grandes Rousses. Selon une étude réalisée en 2007 par ce même laboratoire, le glacier de Saint-Sorlin devrait avoir pratiquement disparu en 2060 en cas de réchauffement climatique de +1,8°C d’ici 2100. On peut s’attendre au même sort pour l’ensemble des petits glaciers des Alpes situés à basse ou moyenne altitude sous les 3500 m d’altitude: « En prenant un scénario climatique moyen, les glaciers qui culminent en-dessous de 3500 mètres devraient disparaître avant 2100 », résume Christian Vincent, ingénieur de recherche au LGGE. Il précise que ce déficit est énorme et qu’il est global sur l’ensemble des glaciers des Alpes françaises.
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Alpes : des écroulements de plus en plus fréquents.
Le réchauffement de plus en plus prononcé sur les glaciers alpins n’a pas qu’un impact sur leur superficie. Les montagnes commencent à tomber. Depuis une vingtaine d’années déjà, les spécialistes constatent que le dégel du ciment de glace qui lie les Alpes entraine des écroulements de plus en plus fréquents. On a recensé cet été plus de 150 écroulements rien que dans le massif du Mont Blanc. Ce qui est plus que lors de la canicule de 2003 selon le CNRS de Savoie. A plusieurs reprises, le préfet de Haute Savoie a dû demander la fermeture d’accès au Mont Blanc. Les écroulements à la Tour Ronde et à l’Aiguille du Tacul cet été ont donné lieu sur la Toile à d’impressionnantes vidéos. Il a été clairement admis que le rôle du réchauffement climatique dans ces écroulements était en cause depuis ces dernières années. Le permafrost, qui correspond à des terrains gelés en profondeur depuis des millénaires parfois joue un rôle prépondérant. La présence de glace permet aux roches de se stabiliser. De nos jours, cela devient de moins en moins le cas. Les experts à partir de photographies sont arrivés à reconstituer 150 années d’évolution des parois rocheuses des aiguilles de Chamonix et ont mis en avant une certaine concomitance des écroulements avec les années où les chaleurs sont très fortes. Depuis 2007, un réseau d’observation a été mis en place. Il a déjà permis de constater plusieurs centaines d’évènements d’écroulements qui ont occasionné la chute de 100 à 45 000 m3 de roches Un constat qui touche des altitudes allant jusqu’à 3500 m. Au-dessus, le permafrost est suffisamment froid pour permettre une stabilité assez bonne », souligne le chercheur. Et les plus gros écroulements interviennent en automne ou en début d’hiver car la chaleur met très longtemps à pénétrer dans la montagne et continue d’avancer même s’il regèle en surface, comme l’ont montré des forages entrepris à l’Aiguille du Midi. La chaleur pénètre ainsi jusqu’au mois d’octobre ou novembre, voire plus, au coeur de la montagne. Cette année, « dès le début du mois d’août, on était déjà quasiment au niveau de dégel d’un mois d’octobre, c’est-à-dire au niveau maximal de dégel des années précédentes », souligne le chercheur. Sur les pentes sous le refuge du Goûter dans le si dangereux couloir de la mort, il s’agit par contre plutôt de blocs de pierre ; d’où des chutes plutôt en période d’été. Les experts s’attendent encore à de probables chutes dans les mois à venir quand la chaleur aura atteint sa profondeur maximale. Ce qui est surtout à craindre, c’est la multiplication de ces évènements dans les années à venir avec une fréquence accrue des épisodes de canicule qui dégraderont à la longue encore plus le permafrost. L’hiver est une période qui ne permet plus de nos jours à la glace de se reformer. Si bien que l’année suivante, le dégel s’accélère encore et devient plus profond. Tout cela n’est pas sans conséquences pour les nombreux alpinistes qui fréquentent le massif du Mont Blanc. On l’a vu plus haut pour grimper au sur le toit de l’Europe. Mais pas uniquement. Des itinéraires ne doivent plus être empruntés car les risques sont devenus trop grands, d’autres doivent être parcourus plus tôt dans la saison. Enfin, certaines voies d’escalade ont purement disparu dans le massif des Drus ces dix dernières années. Des refuges hauts en altitude pourraient aussi être menacés de disparition dans le futur. Et l’on estime qu’à terme, le risque d’éboulements pourrait atteindre les vallées, avec des écroulements provoquant des avalanches, des chutes de glace et des coulées de boue.
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Nous avons a eu l’occasion de rencontrer Etienne Berthier juste avant l’ouverture de la COP21. Cet homme natif de l’Ain est aujourd’hui l’un des glaciologues du CNRS de Toulouse. Diplômé d’une licence-maîtrise des Sciences de la Terre en 1998, il s’est orienté par la suite vers une agréation puis un DEA en océanologie, météorologie et environnement à l’université de Paris VI Par la suite, il a complété sa formation par une thèse à Toulouse III où il s’est définitivement fixé. On lui doit différents articles dans des revues internationales. Pour nous, il revient sur quelques questions complémentaires sur l’évolution des glaciers en France mais aussi à travers le monde.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?. Depuis 2007, je suis glaciologue au CNRS (Laboratoire d’Études en Géophysique et Océanographie Spatiales/Observatoire Midi-Pyrénées).Je suis en charge de l’exploitation des données des satellites pour suivre les glaciers de montagne. Je quantifie la réponse de ces glaciers au changement climatique et leur contribution à la hausse du niveau marin. Je suis beaucoup en relation avec les Islandais.
Vous avez effectué différentes missions sur le terrain comme vos confrères ?.Oui. J’ai participé à des missions de terrain dans les Alpes, en Islande, en Alaska ou bien encore au Népal. Et puis plus jeune, j’étais parti lors de ma coopération plus d’un an en Bolivie pour des missions particulières de carottages au sommet des volcans à plus de 6000 m d’altitude avec des conditions souvent extrêmes mais des expériences uniques.
Quelle est l’une de vos dernières longues missions ?.Elle a porté sur une analyse des glaciers des Andes avec les indicateurs thermiques et leur rôle hydrologique.
Sinon, combien êtes-vous de glaciologues en France ?. Nous sommes une petite centaine dans notre pays et ce n’est pas extraordinaire. C’est aux Etats Unis que l’on retrouve le plus grand nombre d’équipes. A l’intérieur de la glaciologie, il y a plusieurs disciplines. Certains s’intéressent au climat du passé en procédant à des carottages ; d’autres suivent l’état actuel des glaciers sur le terrain comme Christian Vincent. Et puis d’autres comme moi qui consulte les glaciers via les images prises au-dessus de nos têtes pour en extraire de nombreuses observations.
En octobre dernier, vous aviez été l’un des messagers à bord du Train du Climat. J’avais reçu pour ma part une invitation car je suis l’un des membres de « Météo et Climat « présidé par Jean Jouzel. Pouvez-vous nous rappeler quelle était la finalité et le déroulement de ce projet ?. L’objectif de ce train était d’aller au contact direct du grand public à travers la France pour les informer sur les changements climatiques. L’exposition à bord de ce train permettait de comprendre les causes de la variabilité naturelle du climat ainsi que l’empreinte climatique de nos émissions de gaz à effet de serre. Pour préparer le public à la COP21 qui se tiendra dès lundi à Paris, une partie de l’exposition traitait ensuite des émissions des différents pays et de solutions possibles pour les réduire.
Combien y a t’-il de par le monde de glaciers; à combien estime t’on la disparition à l’horizon 2050 et d’ici 2100 et en fonction du réchauffement prévu (pour 2 ou 6 °) ? Plus de 200000 glaciers. Le pourcentage de glaciers qui disparaitront à l’horizon 2100 dépendra du scénario d’évolution de la température et sera très variable d’une région à l’autre. Dans des régions comme les Alpes, le Caucase ou les Rocheuses canadiennes, il est possible que 80 à 90 % des glaciers disparaissent.
Leur superficie à travers le monde est loin d’être si conséquente que cela ?. Les glaciers occupent une surface un peu plus grande que la France, autour des 700 000 km2, en dehors des calottes. Le Groenland c’est 4 fois la France soit 2 millions de km2 et l’antarctique c’est encore plus avec 13 millions de km2.
Les glaciers européens seront-ils les plus impactés par le réchauffement ? Non. Certes les pertes de masse y sont très rapides sur les 2 ou 3 dernières décennies mais on trouve des valeurs équivalentes dans le Nord Ouest des Etats-Unis et du Canada, dans le Caucase, dans les régions tropicales ou en Patagonie.
Les glaciers népalais de l’Himalaya de la région de l’Everest sont menacés d’une forte réduction, voire d’une presque disparition d’ici la fin du siècle ?.Oui comme presque tous les glaciers finalement. Ceci dit les taux actuels de perte de masse ne sont pas plus forts qu’ailleurs, plutôt plus faibles. L’état de santé de ces glaciers dans le futur dépendra beaucoup des changements du régime de mousson, un phénomène qui reste difficile à représenter dans les modèles de climat.
Certains glaciers sont-ils plus particulièrement étudiés et plus suivis que d’autres?. Sur le terrain, l’accessibilité conditionne fortement les glaciers qui sont suivis. Depuis l’avènement des satellites, les glaciologues essaient d’avoir une vision exhaustive de l’évolution des glaciers et ne privilégient pas une région par rapport à une autre. Pour des contraintes logistiques sur le massif du mont Blanc il n’y a qu’un à 2 glaciers suivis. C’est la raison pour laquelle on s’appuie sur les nombreuses images satellites avec des tests notamment altimétriques.
Les travaux portent notamment sur l’analyse des carottages mais pas que cela ?. Oui, effectivement. On analyse le fonctionnement des glaciers, comme l’hydrologie sous glaciaire pour voir comment le glacier se déplace avec cette eau qui s’écoule sur son lit rocheux. Ce sont plus des recherches fondamentales. Actuellement, ce qui est intéressant, ce sont les séries d’études depuis les années 50-60 sur le terrain. Ce suivi dans le temps qui a été fait est très important car cela permet d’avoir ces données qui mettent en avant l’évolution la plus récente dans un contexte un peu plus sur le long terme.
Quel est le glacier le plus conséquent en masse dans le monde ?. Si l’on exclut les deux calottes polaires (Antarctique et Groenland), les plus grands glaciers se situent dans l’Arctique Canadien sur l’ile d’Ellesmere. On trouve également des très grands glaciers en Alaska (glacier de Bering) ou au Pamir (glacier Fedtchenko).
Le recul des glaciers modifie le régime hydrologique des régions de montagne. Y a t »il des régions déjà arides dans le monde où cela va perturber la ressource en eau ?. Parmi les régions à surveiller de près, on compte les Andes tropicales (Pérou, Bolivie, Nord du Chili et de l’Argentine), le bassin de l’Indus (Pakistan) et les rivières d’Asie Centrale descendant des montagnes du Tien Shan comme l’Amu Darya.
Les glaciologues entretiennent-ils des liens étroits avec les experts du GIEC ? Tous les 5-6 ans, le GIEC coordonne un rapport qui fait un état de l’art des connaissances sur les sciences du climat. Attention, le GIEC ne produit pas de nouvelles connaissances, simplement il les compile et les synthétise à partir des milliers d’articles publiés dans des revues à comité de lecture. Pour chaque rapport, un panel différent de glaciologues participe à l’élaboration de cette synthèse. Evidemment toutes les disciplines des sciences du climat sont représentées (océanographie, physique et chimie de l’atmosphère, etc…).
Vous avez effectué différentes missions sur le terrain comme vos confrères ?.Oui. J’ai participé à des missions de terrain dans les Alpes, en Islande, en Alaska ou bien encore au Népal. Et puis plus jeune, j’étais parti lors de ma coopération plus d’un an en Bolivie pour des missions particulières de carottages au sommet des volcans à plus de 6000 m d’altitude avec des conditions souvent extrêmes mais des expériences uniques.
Les ressources en eau pourraient-elles être significativement touchées par une disparition complète, notamment pour ceux des Pyrénées ? Dans une région comme les Pyrénées, les glaciers occupent déjà une surface trop réduite pour jouer un rôle sur la ressource en eau. C’est une région où la fonte des neiges et les précipitations vont principalement conditionner la disponibilité de l’eau.
Constate t’-on un recul plus net des glaciers des Alpes françaises que celles Autrichiennes, Suisses ou italiennes ?. Non, le recul est globalement le même sur l’ensemble de l’arc alpin.
Des analyses sont-elles en cours pour connaître l’évolution des précipitations sur le massif alpin ?. Pour l’heure, nous n’avons pas de données précises sur ce que pourrait être exactement le futur des précipitations. Pour l’heure, il semble tout de même qu’il n’y aurait pas beaucoup de bouleversements d’après ce qui est observé.
Par contre, le fait que l’on peut s’attendre à plus de précipitations liquides que solides pourrait avoir un impact dans la vallée sur les cours d’eau ?. Oui en cas de très fortes précipitations, des évènements exceptionnels comme les crues pourraient être plus fréquentes.
Selon une récente enquête, d’ici 2040, tous les glaciers des Pyrénées auront disparu?. Oui, c’est effectivement une certitude d’ici cette échéance aussi bien côté français que côté espagnol. On pense notamment au massif du Vignemale avec le glacier d’Ossoue, qui est le 2e glacier des Pyrénées en superficie.