
Le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), dévoilé le 10 mars, continue de faire parler de lui. Parmi les énergies renouvelables qui occupent une place centrale dans notre mix énergétique, l’hydroélectricité se distingue comme une vieille dame robuste, mais potentiellement fragilisée par un climat à +4 °C d’ici 2100. Première source d’énergie renouvelable du pays, elle représente encore aujourd’hui une part essentielle de notre électricité, mais les projections climatiques et les mesures du PNACC-3 nous invitent à plonger dans ses rouages, ses forces et ses vulnérabilités.
Commençons par un état des lieux. En 2023, selon RTE (Réseau de Transport d’Électricité), l’hydroélectricité a produit 60 térawattheures (TWh), soit 13 % de la production électrique nationale et près de la moitié des énergies renouvelables. Avec environ 2 500 centrales – dont 433 gérées par EDF, qui assure 80 % de cette capacité – et une puissance installée de 25,7 gigawatts (GW), elle reste un pilier. Les Alpes, les Pyrénées, le Massif central et la vallée du Rhône concentrent l’essentiel de ces installations, des barrages au fil de l’eau aux grandes retenues comme Serre-Ponçon ou Tignes. Cette énergie, flexible et stockable grâce aux lacs de barrage, permet de répondre aux pics de consommation en quelques minutes, un atout précieux face à l’intermittence de l’éolien ou du solaire. Pourtant, derrière ces chiffres solides, le climat dessine un avenir incertain, et le PNACC-3 s’y attaque avec une lucidité teintée d’urgence.
Le cœur du problème, c’est l’eau – ou plutôt son absence croissante. Les projections de Météo-France, intégrées à la Trajectoire de Réchauffement de Référence pour l’Adaptation au Changement Climatique (TRACC), sont implacables : à +4 °C d’ici 2100, les glaciers alpins auront fondu, et l’enneigement chutera drastiquement – quarante jours par an dans les Alpes, dix dans les Pyrénées, contre respectivement 100 et 60 aujourd’hui, selon les données du PNACC relayées par Le Figaro le 12 mars. Une étude de Nature Geoscience en 2020 chiffrait déjà une perte de 26 % du volume glaciaire entre 2000 et 2020, et le rapport du 20 mars précise que les débits estivaux des rivières pourraient baisser de 20 à 30 % d’ici 2050, voire 50 % en 2100 dans le pire scénario. Pour les 600 barrages de plus de 10 mètres, classés A et B par la Direction Générale de la Prévention des Risques (DGPR), cela signifie moins d’eau pour remplir les réservoirs et faire tourner les turbines, surtout en été, quand la demande en électricité grimpe avec les climatiseurs.
Les chiffres récents donnent un avant-goût de cette tendance. En 2022, année marquée par une sécheresse historique, la production hydroélectrique a chuté à 47 TWh, soit 20 % de moins qu’en 2021 (58,8 TWh), selon RTE. Les retenues comme celles de Serre-Ponçon ont vu leurs niveaux tomber à 30 % de leur capacité en août 2022, un record bas rapporté par actu-environnement.com. À l’inverse, les hivers doux et pluvieux, comme celui de 2023-2024, dopent parfois les stocks – 65 TWh potentiels estimés en janvier 2024 – mais cette variabilité accrue complique la gestion. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), notait dans Les Échos le 11 mars que « l’hydroélectricité reste fiable, mais elle doit s’adapter à un régime hydrologique plus chaotique ». Le PNACC-3 prend acte : EDF devra soumettre une étude de vulnérabilité pour ses 433 centrales d’ici fin 2025, un travail colossal pour évaluer les impacts bassin par bassin.
Mais il n’y a pas que la sécheresse. Les pluies extrêmes, prévues en hausse de 20 % dans la moitié nord d’ici 2100 selon Météo-France, posent un autre défi. Si elles peuvent remplir les barrages en hiver – comme lors des crues de décembre 2024 dans le Pas-de-Calais –, elles augmentent aussi les risques de submersion et de turbidité, ces sédiments qui encrassent les turbines. Une analyse de HydroReview en 2023 estimait que 10 % des petites centrales au fil de l’eau, souvent sans retenue, pourraient voir leur production perturbée par ces épisodes, un enjeu que le PNACC aborde via une cartographie nationale des risques naturels, promise pour 2027. Les grands barrages, eux, sont conçus pour encaisser – Serre-Ponçon peut absorber une crue millénale de 1 000 m³/s, selon EDF – mais leur rôle de régulation des crues sera mis à rude épreuve, notamment dans le sud-est, où les pluies cévenoles pourraient devenir plus violentes.
Côté opportunités, le PNACC-3 ouvre des perspectives. L’axe « adapter les activités humaines » encourage les collectivités à réviser leurs Plans Climat-Air-Énergie Territoriaux (PCAET) d’ici 2030, et certains territoires envisagent de relancer la petite hydroélectricité. Une enquête de La Gazette des Communes en février 2025 révélait que 25 % des 100 territoires pilotes du plan étudiaient des microcentrales sur des rivières secondaires, souvent abandonnées au XXe siècle. Le Fonds vert, doté de 260 millions d’euros en 2025, financera ces projets, bien que modestes – une centrale de 500 kW produit environ 2 GWh par an, selon le SER, soit l’équivalent de la consommation de 800 foyers. À plus grande échelle, le plan mise sur une optimisation des barrages existants : EDF teste déjà des turbines à débit variable sur le Rhône, capables de fonctionner avec moins d’eau, un gain potentiel de 5 % de rendement d’ici 2030, selon L’Usine Nouvelle en janvier 2025.
Pourtant, des limites se dessinent. La production hydroélectrique, plafonnée à 70 TWh annuels dans les meilleures années (1970-1980), ne pourra pas croître indéfiniment. Une étude de l’Agence de la transition écologique (ADEME) en 2024 estimait que le potentiel inexploité ne dépasse pas 10 TWh, limité par la topographie et les contraintes environnementales – la Directive cadre sur l’eau impose de préserver 40 % des rivières en « bon état écologique ». Sur X, @EnergieVerte
s’interrogeait le 12 mars : « Comment booster l’hydro sans assécher nos écosystèmes ? » Une question que le PNACC-3 esquive, se concentrant sur l’adaptation des infrastructures existantes plutôt que sur de nouveaux grands projets, jugés trop coûteux et controversés après l’abandon de Sivens en 2014.
Les données techniques confirment cette tension. En 2023, les 25,7 GW installés ont tourné à 60 % de leur capacité moyenne, mais une baisse de 20 % des débits estivaux d’ici 2050 pourrait ramener la production à 50 TWh annuels, voire 40 TWh en 2100 sans ajustements, selon une projection interne d’EDF citée par actu-environnement.com. Les audits imposés par le PNACC-3 devront donc proposer des solutions : relèvement des seuils de retenue, pompage-turbinage accru (stockage d’énergie en pompant l’eau vers des réservoirs élevés), ou diversification vers le solaire et l’éolien pour compenser. Pierre Mallet, de Carbone 4, soulignait à francetvinfo.fr le 11 mars : « L’hydro restera un atout, mais elle ne pourra plus porter seule la flexibilité du réseau. »
Que retenir pour l’hydroélectricité dans ce PNACC-3 ? C’est une énergie à la croisée des chemins. Solide avec ses 60 TWh actuels, elle risque de perdre du terrain face à des étés plus secs et des hivers imprévisibles, mais le plan offre des outils – audits, fonds, cartographie – pour la rendre plus résiliente. Les Français, qui comptent sur elle pour éclairer leurs foyers, pourraient voir son rôle évoluer : moins dominante, plus complémentaire, dans un mix où solaire et éolien prendront le relais. Ce n’est pas une révolution, mais une adaptation pragmatique à un climat qui ne fait plus de cadeaux. Reste à espérer que les 260 millions du Fonds vert ne soient qu’un premier pas, car l’hydroélectricité, comme nous, devra apprendre à danser avec un futur plus chaud et plus incertain.