Peut-on venir à bout du frelon asiatique?.

Depuis son arrivée accidentelle en France au début des années 2000, le frelon asiatique, Vespa velutina nigrithorax, s’est progressivement imposé comme l’un des principaux fléaux de la biodiversité et de l’apiculture. Initialement localisé dans le Sud-Ouest, il a gagné l’ensemble du territoire métropolitain en deux décennies, colonisant au fil des ans les vallées, les plaines agricoles, les zones urbaines et même les hauteurs montagneuses. Sa progression fulgurante, favorisée par l’absence de prédateurs naturels et un climat de plus en plus doux, interpelle de nombreux acteurs : agriculteurs, apiculteurs, élus, écologues, mais aussi particuliers confrontés à des nids toujours plus proches des habitations. Face à cet envahisseur, une question revient sans cesse : peut-on en venir à bout, et à quelles conditions ?

Le frelon asiatique n’est pas simplement un gros insecte gênant. Il incarne une menace directe pour les abeilles domestiques, qu’il guette souvent en vol stationnaire devant les ruches avant de les happer au vol. Il est capable de décimer une colonie en quelques jours, soit en éliminant les butineuses, soit en forçant les ouvrières restantes à ne plus sortir, condamnant la ruche à une mort lente. On estime qu’un seul nid peut contenir entre 1 000 et 2 000 individus en été, et les nids primaires, construits dès mars-avril, se muent rapidement en nids secondaires de grande taille souvent dissimulés dans les frondaisons, parfois à plus de 20 mètres de hauteur. À l’automne, les femelles fécondées – les futures fondatrices – quittent les nids et vont hiverner à l’abri. C’est là tout le problème : le cycle repart à zéro chaque année, démultipliant les sites de ponte et les nids.

Les stratégies actuelles de lutte reposent d’abord sur la destruction ciblée des nids. Cela passe souvent par des interventions professionnelles : repérage visuel, localisation thermique ou acoustique, destruction par perche télescopique et injection d’insecticide. Cette méthode fonctionne, à condition d’intervenir avant la dissémination des reines, mais elle est coûteuse et difficilement généralisable, surtout dans les zones boisées ou les reliefs escarpés. La destruction mécanique (tir au fusil de chasse, coupe des branches) reste marginale et risquée. Dans les campagnes, certains groupes de citoyens s’organisent pour repérer les nids au moyen de jumelles et de drones, puis les signalent aux collectivités locales, mais la traque reste chronophage et incomplète.

Une autre piste repose sur le piégeage des fondatrices au printemps. Le principe est de capturer les reines avant qu’elles ne puissent fonder un nid. Ces pièges, souvent artisanaux (bouteilles renversées, appâts sucrés), sont placés dès la fin février dans les zones à risque. Leur efficacité est sujette à débat, car ils capturent aussi une partie des insectes pollinisateurs non ciblés, et leur généralisation pourrait provoquer des déséquilibres dans les écosystèmes. Certaines villes testent des pièges sélectifs à phéromones ou à appâts protéinés, avec des résultats plus prometteurs, mais encore très localisés. À ce jour, aucun protocole national harmonisé n’a permis de prouver une diminution significative des populations à grande échelle.

Sur le plan biologique, quelques pistes commencent à émerger. Des études montrent que certains oiseaux insectivores, comme les bondrées apivores ou les guêpiers d’Europe, peuvent consommer ponctuellement des frelons, mais sans régulation significative. La prédation naturelle reste limitée. En laboratoire, des champignons entomopathogènes ou des virus spécifiques ont été testés, sans solution commercialisable pour l’instant. Une autre hypothèse consiste à perturber la reproduction en introduisant des mâles stériles ou des substances affectant la fécondation des femelles. Ces techniques, inspirées de la lutte contre les moustiques, sont encore en phase exploratoire et n’ont pas dépassé le stade expérimental.

Climatiquement, le frelon asiatique a trouvé en France des conditions idéales. Les hivers plus doux favorisent la survie des reines fondatrices. En altitude, les fronts de colonisation sont plus lents, mais l’espèce a déjà été observée dans des villages des Hautes-Alpes ou du Cantal, à plus de 800 mètres d’altitude. Les zones de progression correspondent souvent aux couloirs fluviaux, notamment le long de la Garonne, du Rhône, de la Loire et de la Seine. L’année 2022, marquée par des chaleurs précoces et une sécheresse durable, a vu une explosion des colonies en de nombreuses régions du Centre, de l’Île-de-France et de la Normandie, preuve de son adaptation rapide à des régimes météorologiques extrêmes.

En termes de santé publique, les frelons asiatiques n’attaquent pas spontanément l’homme, mais leur défense de territoire est redoutable. Les nids situés à moins de 5 mètres du sol ou proches d’une activité humaine posent un risque réel. Chaque année, plusieurs dizaines d’hospitalisations sont recensées, notamment en raison de réactions allergiques. Le venin est moins toxique que celui de son cousin européen, mais la capacité du frelon asiatique à piquer en rafale et en groupe accroît la gravité des cas. Les collectivités commencent à intégrer ce risque dans leurs plans de gestion, en identifiant les nids à proximité des écoles, des maisons de retraite ou des lieux publics.

Du point de vue économique, l’impact sur l’apiculture est majeur. Certains apiculteurs ont perdu jusqu’à 80 % de leurs colonies en quelques années, notamment dans le Sud-Ouest. Le stress provoqué par la présence du frelon devant les ruches limite la production de miel, réduit les chances d’hivernage et accroît les frais de protection (grilles anti-frelons, filets, pièges). Des aides régionales ont été mises en place ponctuellement, mais la filière peine à se stabiliser dans les zones les plus touchées.

La coordination nationale reste limitée. Il n’existe pas de politique publique unifiée de lutte, ni de plan national à long terme. Les préfectures délèguent souvent les actions aux communes ou aux syndicats intercommunaux, avec des budgets variables, des protocoles hétérogènes et un manque de formation des agents. Pourtant, quelques départements (comme la Loire-Atlantique ou le Lot-et-Garonne) ont structuré des réseaux d’observateurs bénévoles, formé des référents municipaux et mutualisé les interventions. Ces démarches locales sont efficaces mais isolées.

Peut-on en venir à bout ? En l’état actuel des connaissances et des outils, éradiquer totalement le frelon asiatique semble irréaliste. En revanche, il est envisageable de le contenir localement, de réduire son impact sur les abeilles et la santé publique, et d’organiser une veille permanente. La clef repose sur la détection précoce, la mutualisation des moyens, le soutien à l’apiculture et la recherche appliquée. Une approche intégrée, combinant techniques de terrain, innovations biologiques, communication locale et cadre réglementaire clair, est la seule voie réaliste pour transformer cette invasion en un risque gérable.

Le frelon asiatique ne disparaîtra probablement pas. Mais à défaut de l’éliminer, la société peut encore apprendre à vivre avec, à le limiter, à le surveiller, à l’empêcher de bouleverser nos équilibres. Comme bien d’autres espèces invasives, il s’agit désormais moins de guerre que de cohabitation surveillée. Et cette gestion commence chez soi, par l’attention, l’information et la coopération entre citoyens et institutions.