C’est une question aussi cruciale que complexe. À l’heure où les enjeux climatiques redessinent nos choix de société, déterminer quel carburant est réellement le plus écologique suppose de prendre du recul, d’observer le cycle de vie complet des énergies, d’en mesurer l’impact depuis leur extraction ou production jusqu’à leur consommation finale. Car il ne suffit pas qu’un carburant émette peu au pot d’échappement ou qu’il provienne de ressources renouvelables pour mériter l’étiquette d’« écologique ». Encore faut-il considérer les émissions globales, les atteintes aux sols, à l’eau, à la biodiversité, la consommation d’énergie pour sa fabrication, la pression sur les terres agricoles, et les possibilités de recyclage ou de réutilisation.
Pendant longtemps, l’essence et le gazole ont été les carburants dominants. Mais leur combustion relâche du dioxyde de carbone, du dioxyde d’azote, des particules fines et du monoxyde de carbone, tous directement responsables du réchauffement climatique et de la pollution atmosphérique. Or, malgré les progrès des motorisations thermiques modernes, ces carburants fossiles restent parmi les plus polluants du cycle de vie. Ils puisent dans des réserves non renouvelables, dépendent d’une extraction énergivore et géopolitiquement instable, et n’offrent aucune perspective de durabilité.
Le GPL (gaz de pétrole liquéfié), souvent présenté comme un carburant de transition, émet certes moins de CO₂ à la combustion, et presque pas de particules. Il a l’avantage d’être déjà disponible et compatible avec certains véhicules thermiques à coût réduit. Mais il reste une énergie fossile, dérivée du pétrole et du gaz naturel, et son impact carbone global reste significatif.
Le GNV (gaz naturel pour véhicules), surtout sous sa forme comprimée (bioGNV lorsqu’il est issu de la méthanisation), propose un meilleur bilan. Lorsqu’il est produit à partir de déchets organiques, son empreinte carbone peut être réduite de plus de 80 % par rapport au diesel. Il offre également des gains en matière de pollution de l’air. Mais la filière est encore jeune, peu développée, et dépend fortement du type de méthanisation utilisée. Si elle repose sur des cultures énergétiques spécifiques, le gain environnemental s’amenuise rapidement. L’usage de déchets fermentescibles agricoles ou ménagers reste le plus vertueux.
Les biocarburants (biodiesel, bioéthanol), de première ou deuxième génération, promettent une réduction des émissions nettes grâce à la photosynthèse préalable des plantes cultivées. Mais ces filières sont sujettes à controverse. Produits à base de betterave, de colza, de maïs ou de palme, ils mobilisent des terres arables, consomment de l’eau, des engrais et des pesticides, et peuvent entraîner une déforestation indirecte. Les biocarburants de deuxième génération, fabriqués à partir de résidus végétaux ou de bois, sont bien plus intéressants sur le plan écologique, mais encore peu industrialisés.
L’électricité, quant à elle, est souvent désignée comme la voie royale de la transition. Un véhicule électrique n’émet aucun polluant local et son efficacité énergétique est bien meilleure qu’un moteur thermique. Toutefois, tout dépend de la manière dont cette électricité est produite. Dans un pays comme la France, où le mix électrique reste fortement bas carbone (grâce au nucléaire et aux renouvelables), le gain est réel. Mais dans d’autres régions où le charbon reste dominant, le bénéfice chute drastiquement. De plus, la fabrication des batteries, très consommatrice de métaux rares, d’eau et d’énergie, alourdit le bilan environnemental, surtout si ces matériaux sont extraits dans des conditions socialement ou écologiquement dégradantes.
L’hydrogène, lui aussi sans émission au pot d’échappement (puisqu’il ne rejette que de la vapeur d’eau), semble particulièrement prometteur. Mais aujourd’hui, plus de 95 % de l’hydrogène utilisé dans le monde est produit à partir de gaz fossile, via un procédé appelé vaporeformage, très émetteur de CO₂. L’hydrogène « vert », obtenu par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable, est bien plus propre, mais encore très marginal en raison de son coût élevé, de son rendement médiocre et de la complexité de son stockage.
À l’échelle du cycle de vie complet, les carburants les plus vertueux sont ceux qui conjuguent faible émission de gaz à effet de serre, renouvelabilité, peu de pression sur les ressources naturelles, et compatibilité avec des infrastructures existantes. De ce point de vue, les solutions locales à base de biométhane injecté dans les réseaux de GNV, les carburants synthétiques produits à partir de CO₂ capté et d’hydrogène vert (e-fuels), ou encore l’électricité d’origine renouvelable stockée localement, tiennent le haut du pavé. Mais leur déploiement reste limité, et dépend de choix industriels et politiques encore incertains.
Dans les faits, il n’existe pas un carburant unique qui coche toutes les cases. Le « plus écologique » dépend toujours du contexte : usage urbain ou longue distance, production locale ou importée, disponibilité des filières, maturité technologique. Dans un cadre strictement actuel et français, un véhicule léger roulant à l’électricité issue d’un mix bas carbone conserve l’avantage sur la durée de vie. Pour un poids lourd, le bioGNV local est souvent plus cohérent. Pour les véhicules très spécifiques ou anciens, l’intégration raisonnée de carburants liquides de synthèse peut s’envisager à long terme.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le carburant le plus écologique reste celui qu’on ne consomme pas. Réduire les déplacements inutiles, favoriser les mobilités douces ou partagées, allonger la durée de vie des véhicules et optimiser leur usage reste bien plus efficace que de chercher à verdir un modèle de transport fondé sur la voiture individuelle et l’étalement urbain. Le véritable défi écologique dépasse donc le choix du carburant : il réside dans la manière dont on repense nos besoins de déplacement, notre urbanisme, notre rapport au temps et à l’énergie.
